Comment identifier et comprendre les parties prenantes en contexte complexe

Les échecs de projets ne viennent pas toujours d’une mauvaise technologie ou d’un budget trop serré.  Bien souvent, la vraie bombe à retardement se cache ailleurs : dans l’oubli, la sous-estimation ou la mauvaise lecture des parties prenantes.

Derrière les organigrammes officiels se jouent des influences invisibles, des résistances silencieuses, des alliances improbables. Identifier et comprendre ces acteurs est un art plus qu’une science. Et dans les contextes complexes, c’est souvent la différence entre un projet qui avance… et un projet qui échoue.

Comprendre l’importance des parties prenantes

Vous avez sans doute déjà vécu cette scène : une réunion qui semblait bien partie, tout le monde acquiesce, les slides sont claires… puis soudain, une personne que vous n’aviez jamais vue jusque-là prend la parole et, en deux phrases, remet tout en cause. 

Si cela vous est arrivé, vous avez sans doute croisé un “stakeholder fantôme”, une partie prenante ignorée mais décisive. Ce n’est pas une anecdote isolée : selon le Project Management Institute, la mauvaise gestion des parties prenantes figure parmi les trois principales causes d’échec de projets.

Autrement dit, ignorer ou mal cartographier vos parties prenantes, c’est comme avancer dans un labyrinthe les yeux bandés.

La vision académique et rassurante

Dans les formations en gestion de projet ou en AMOA, la cartographie des parties prenantes est souvent présentée comme une étape mécanique. On distingue les « primaires » (clients, sponsors, utilisateurs finaux) des « secondaires » (fournisseurs, régulateurs, associations). On applique la matrice pouvoir/intérêt : en haut à droite, les acteurs puissants et très concernés ; en bas à gauche, ceux qui comptent peu.

Cette approche a son utilité : donner un cadre commun et éviter les oublis. L’IMD Business School recommande par exemple de classer les parties prenantes selon trois critères : pouvoir, légitimité et urgence.

Mais cette approche donne une illusion de maîtrise. Comme le rappelle Onalee Edwards, Business Analyst (Modern Analyst) :
« L’une des premières choses que j’aime faire avec les parties prenantes de mes projets, c’est m’assurer que je sais clairement qui est qui, au-delà de la compréhension des titres et des rôles professionnels, en établissant des relations directement avec elles. »

Autrement dit, une matrice n’explique pas vraiment qui influence les décisions.

La réalité complexe et les résistances invisibles

Dans la vraie vie, les parties prenantes ne sont pas des cases à cocher mais des individus avec des émotions, des ambitions et parfois des agendas cachés.

Les plus redoutables ? Les résistants silencieux : ils ne disent rien en réunion mais agissent en coulisses. Comme le rappelle le Community Toolbox de l’Université du Kansas : « You don’t have to guess their interests—ask them! » (FR « Vous n’avez pas besoin de deviner leurs centres d’intérêt – demandez-leur ! »)

D’autres sont invisibles : un assistant, un manager intermédiaire, un prestataire technique. Officiellement secondaires, ils peuvent en réalité tout bloquer.

Un Business Analyst sur la plateforme Reddit conseille ceci : « Identifiez vos parties prenantes, classez-les par intérêt et influence. Si elles ont une grande influence, organisez une réunion et discutez avec elles en tête-à-tête… »

L’influence réelle ne correspond pas toujours au titre officiel.

Méthode d’interview : bonnes pratiques

L’analyse des parties prenantes repose avant tout sur des entretiens bien menés.

  • Préparation : clarifier les objectifs et préparer des questions ouvertes (Nielsen Norman Group).
  • Conduite : instaurer la confiance. Onlalee Edwards, précédemment citée le dit avec justesse : comprendre « qui est qui » au-delà des titres.
  • Adaptation : les parties prenantes à forte influence se livrent davantage en tête-à-tête qu’en atelier collectif.
  • Formalisation : documenter en user stories ou use cases, puis valider avec l’interviewé (cf. Modern Analyst).

 

Il est fondamental de se souvenir qu’un bon entretien n’est pas une simple collecte de données, mais un levier stratégique.

Contre-intuitions et pièges à éviter

Voici quelques astuces tirées de ma propre expérience, et de celles de mes collègues BA’s expérimentés.

  • Le pouvoir n’est pas toujours en haut : un assistant peut bloquer plus qu’un sponsor.
  • Trop de transparence peut nuire : publier une matrice sensible peut créer des tensions.
  • Les opposants peuvent devenir vos alliés : un utilisateur critique est souvent une source d’amélioration. Il se fera un malin plaisir de mettre le doigt sur ce qui ne va pas… et vous aidera à identifier les cas exceptionnels et aux limites.
  • La diversité n’est pas un obstacle mais une richesse : inclure des voix contradictoires renforce le projet.
  • Les parties prenantes évoluent : leur intérêt ou leur pouvoir change avec le temps.

Approches alternatives et ... décalées?

  • Le poker : observer les silences, les regards, les gestes plutôt que les discours.
  • Game of Thrones (si vous avez la ref!) : les vrais décideurs sont souvent en coulisses.
  • Cartographier les silences : ceux qui ne parlent jamais peuvent avoir un poids décisif.
  • Observation ethnographique : noter les discussions informelles, les regroupements dans les couloirs.

 

Eh oui… Comprendre vos parties prenantes, c’est d’abord comprendre des humains, pas des “cas”.

Au-delà des parties prenantes : la vraie question

Alors, qui sont vraiment vos parties prenantes ? Peut-être n’est-ce pas la bonne question. La vraie interrogation est : qui influence réellement vos décisions ?

Les outils (organigrammes, matrices, entretiens) sont nécessaires, mais insuffisants.

Ce qui compte, c’est votre posture : savoir écouter, questionner les silences, confronter les évidences.

Et demain ? Peut-être que l’intelligence artificielle saura analyser les flux d’emails ou les réseaux internes pour cartographier automatiquement l’influence. Mais même dans ce scénario, il restera une compétence irremplaçable : votre capacité humaine à créer de la confiance.

Image de Alice Svadchii

Alice Svadchii

Fondatrice de Best Of Business Analyst©
Formatrice⎥Coach⎥Conférencière⎥Créatrice de contenus

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