Il y a quelques jours, je suis retombée sur une ancienne conférence TEDx de 2018 qui m’avait déjà profondément marquée à l’époque. Stephen O’Keefe, sourd de naissance, expliquait comment il avait appris à “écouter” le monde. Sans les oreilles, sans sons, juste avec les yeux, le cœur et surtout, avec une attention totale à ce qui se joue au-delà des mots.
En tant que Business Analyst, je passe ma vie à recueillir des besoins, écouter des utilisateurs, animer des ateliers, reformuler des exigences. J’ai toujours pensé être une bonne “écoutante”. Et pourtant en 2018, en entendant — ironie du mot — ce témoignage, je me suis demandé :
Est-ce que j’écoute vraiment ? Ou est-ce que je me contente d’entendre ce qu’on me dit ?
Ce TEDx qui a tout changé : écouter sans entendre
Ce TEDx m’a renvoyée à l’essentiel. Ce qu’on attend d’un BA, ce n’est pas juste d’écrire ce qui est exprimé. C’est de capter ce qui ne l’est pas, d’identifier les besoins cachés, les contraintes implicites, et les signaux faibles.
En d’autres termes : de maîtriser l’art subtil de l’écoute active.
Et plus j’y pense, plus je me dis que c’est peut-être la compétence la plus stratégique du métier.
Alors dans cet article, j’aimerais partager avec vous cette réflexion et vous proposer des pistes concrètes pour transformer votre manière d’écouter. Pas juste pour “mieux comprendre les besoins” — mais pour devenir ce Business Analyst qui capte l’invisible, qui lit entre les lignes, qui transforme un « flou artistique » métier en une vision précise et claire.
Écouter activement, c’est quoi exactement ?
On pense souvent que l’écoute, c’est être silencieux pendant que l’autre parle. Spoiler : ce n’est pas ça. Pas du tout, même.
L’écoute active, ce n’est pas simplement tendre l’oreille, hocher la tête et prendre des notes. C’est une posture intérieure, une discipline, un choix conscient de suspendre son jugement, d’être pleinement présent et de chercher à comprendre ce que l’autre essaie vraiment de dire — y compris quand il ne le dit pas.
C’est « faire le vide pour capter le plein ».
Écouter activement, c’est :
- Observer le langage non-verbal : un utilisateur qui croise les bras quand il parle d’un processus, ce n’est pas anodin.
- Poser des questions de clarification : “Quand vous dites ‘lent’, vous parlez du temps de réponse ou du délai de traitement ?”
- Reformuler pour valider : “Si je comprends bien, ce qui vous gêne, ce n’est pas l’outil en soi, mais le manque de visibilité sur les échéances, c’est bien ça ?”
- Accepter les silences : et parfois, les provoquer. Car ce qui émerge après un silence est souvent bien plus vrai que ce qui l’a précédé.
Et pourquoi est-ce si stratégique pour un BA ?
Parce que notre métier ne consiste pas à prendre des notes. Il consiste à voir l’invisible, à interpréter, à traduire des besoins trop vagues en solutions claires, à anticiper les conflits avant qu’ils ne surviennent, à poser LA question qui débloquera un projet.
Et tout ça commence par l’écoute.
Mais pas n’importe laquelle.
L’écoute active, c’est un véritable levier pour créer de la valeur. Et accessoirement, c’est ce qui différencie un bon BA d’un excellent BA.
Le métier de BA : une affaire d’oreilles… et de perception fine
Dans cette conférence TEDx, Stephen O’Keefe — sourd de naissance — partage avec une authenticité et une clarté incroyable comment il a appris à “écouter”, sans jamais entendre un seul son.
Pas de mots captés par l’oreille, pas de voix, et pourtant… une attention incroyable à ce que l’autre exprime — dans un geste, une pause, un regard, une tension.
Il ne parle pas d’un don, mais d’un entraînement.
Et en l’écoutant (justement), j’ai ressenti une résonance très forte avec notre rôle de Business Analyst.
Car oui, certains d’entre nous ont cette sensibilité naturelle, cette capacité à lire entre les lignes, à détecter un malaise, à capter l’indécis derrière le discours bien rôdé.
Mais soyons honnêtes : dans notre quotidien professionnel, tout nous pousse à rester à la surface.
Nous enchaînons les ateliers à distance, les entretiens caméra coupée, les échanges en audio saccadé entre deux réunions… Et dans ce contexte, comment écouter vraiment ?
Comment capter ce que nos contributeurs ne disent pas explicitement — parce qu’ils ne trouvent pas les mots, ou parce qu’ils ne sont eux-mêmes pas encore au clair sur ce qu’ils veulent exprimer ?
C’est là que cette conférence m’a rappelé l’essentiel :
Écouter activement, ce n’est pas seulement faire attention à ce qui est dit.
C’est aussi et surtout être présent à ce qui n’est pas dit.
Et aujourd’hui, dans nos environnements hybrides, cette présence devient un vrai défi… mais aussi une compétence clé à cultiver.
Parce que ce qui fait la différence entre un recueil des besoins correct et un recueil des besoins vraiment puissant et impactant, ce n’est pas le nombre de questions qu’on pose. C’est la qualité de notre présence, notre capacité à sentir quand il faut creuser, quand il faut se taire. Et quand il faut valider une intuition.
En tant que Business Analysts, nous avons tout à gagner à développer ce “sixième sens” collectif.
Et c’est précisément ce que nous allons explorer ensemble dans la suite de cet article.
7 techniques d’écoute active à utiliser dès votre prochain atelier
Développer une écoute plus fine, plus active, plus “présente” n’est pas un art réservé aux gourous de la communication non-violente. C’est quelque chose que nous pouvons tous renforcer, avec des techniques simples, applicables immédiatement dans nos projets, que ce soit en présentiel, à distance ou en mode hybride.
Voici une sélection d’outils que nous utilisons en Business Analyse… et que vous pouvez commencer à tester dès votre prochain entretien ou atelier.
Technique 1 : Poser des questions ouvertes et exploratoires
Trop souvent, dans l’urgence, on pose des questions fermées, orientées ou techniques. Or, ce sont les questions ouvertes qui ouvrent le champ d’expression du contributeur.
Exemples :
- “Comment vivez-vous ce processus actuellement ?”
- “Qu’est-ce qui vous semble le plus incertain dans cette évolution ?”
- “Si vous deviez changer une seule chose, ce serait quoi ? Pourquoi ?”
Ces questions nous permettent d’aller au-delà du besoin fonctionnel exprimé, pour toucher le contexte, l’émotion, parfois même la résistance implicite.
Technique 2 : Reformuler — pour valider, clarifier, rassurer
Reformuler, ce n’est pas répéter. C’est montrer qu’on a compris… et offrir à l’autre la possibilité de nuancer ou corriger.
Formulations utiles :
- “Donc si je résume, ce qui est vraiment bloquant pour vous, c’est…”
- “Vous avez dit que le système est lent : est-ce en comparaison à un outil précédent, ou en fonction d’une attente métier ?”
- “Est-ce que je peux reformuler ce que je comprends, et vous me dites si ça vous semble juste ?”
La reformulation est l’alliée de la précision. Et la précision est notre boussole.
Technique 3 : Utiliser le silence comme outil
Le silence est inconfortable, surtout à distance. Mais il est aussi extrêmement puissant. Il permet au contributeur de réfléchir, de compléter, de sortir du discours automatique.
Après une question ou une reformulation, nous pouvons simplement… laisser le vide. Juste quelques secondes de plus que d’habitude.
Et bien souvent, c’est dans ce moment suspendu qu’émerge la vraie réponse.
Technique 4 : Observer les signaux faibles (même à distance)
Même caméra coupée, il existe des signes révélateurs :
- Le rythme de parole qui ralentit.
- Les “euh…” et “ben…” qui précèdent les phrases importantes.
- Les incohérences dans les priorités exprimées.
- Les changements d’intonation quand on aborde certains sujets.
En présentiel, évidemment, c’est encore plus riche : croisement de bras, regard fuyant, soupir discret, scroller sur son téléphone portable ou répondre à ses mails en cours de réunion… À nous de rester attentifs, sans interprétation hâtive, mais avec curiosité bienveillante.
Technique 5 : Valider régulièrement ce qu’on capte
Dans un échange fluide, on peut avoir l’impression de bien comprendre… et pourtant passer à côté d’une attente essentielle.
Prenons l’habitude de valider nos compréhensions régulièrement pendant l’échange.
Exemple :
- “Pour être sûr qu’on est bien alignés, voici ce que j’ai compris de vos priorités…”
- “Est-ce que ce que je viens de dire reflète ce que vous ressentez/voulez/attendez ?”
Cela évite les mauvaises surprises en phase de conception. Et ça renforce la confiance.
Technique 6 : Créer de l’espace pour que le contributeur revienne plus tard
Parfois, même avec les meilleures pratiques, il y a des choses qui ne sortent pas immédiatement. Il est donc utile de laisser une porte ouverte.
Exemple :
- “Si d’autres idées vous viennent après coup, n’hésitez pas à me les partager — par mail ou lors de notre prochain point.”
- “Je vous envoie un petit résumé de notre échange, et vous me direz si quelque chose manque ou mérite d’être précisé.”
Cela montre qu’on ne cherche pas à “boucler vite”, mais à construire avec eux, dans la durée.
Technique 7 : Adapter ces outils au distanciel
Oui, tout cela fonctionne aussi en visio. Voici quelques astuces pratiques qu’on utilise nous-mêmes :
- Inviter à rallumer la caméra, sans insister (“si vous êtes à l’aise, c’est plus sympa de se voir”).
- Partager votre écran pendant que vous reformulez ou notez en direct : cela permet au contributeur de corriger ou compléter.
- Prévoir des temps de respiration pendant les ateliers longs (même 3 min de pause).
- Clôturer par un résumé oral, ou un Miro / Mural partagé pour validation à froid.
L’écoute active, ce n’est pas juste un savoir-faire.
C’est une posture et une attention soutenue à ce que l’autre essaie d’exprimer.
Cas pratique : ce qu’on rate quand on n’écoute qu’avec ses oreilles
Laissez-moi vous raconter une situation que, je pense, nous avons tous vécue à un moment donné dans notre parcours.
Nous étions en pleine phase d’élicitation pour un projet de refonte d’un portail interne. L’équipe métier voulait “une interface plus moderne” — c’était leur demande de départ. Jusque-là, rien d’inhabituel.
On organise une première session d’ateliers. Le contributeur principal — un chef d’équipe terrain — parle de lenteur, de navigation confuse, de fonctionnalités redondantes. On note tout, on reformule, on coche les cases. Et puis on enchaîne les entretiens suivants, tout aussi “fluides”.
Mais voilà : deux semaines plus tard, quand on commence à prototyper, les retours sont mitigés. Et surtout, le chef d’équipe semble… distant. Moins investi, presque agacé et impatient.
Alors nous décidons de prendre un moment de recul. Je le rappelle, cette fois en tête-à-tête, et décide de ralentir la course au résultat concret. Je réouvre la discussion, reformule encore et laisse les silences s’installer (ce qui est aussi une technique pour ralentir).
Et là, il me dit :
“En fait, ce n’est pas tant l’outil qui me pose problème… C’est que je dois former mes équipes moi-même à chaque mise à jour. Et je ne suis pas à l’aise, car je ne le maîtrise pas bien, alors j’ai l’impression de mal le faire et de leur faire perdre du temps.”
Ce qu’il avait besoin d’exprimer n’avait rien à voir avec l’interface. C’était une question de charge mentale, de stress de transmission, de besoin d’accompagnement.
Alors évidemment, on en a tenu compte dans la conception fonctionnelle du logiciel. Et pas uniquement en modifiant le design.
On a « tout simplement » ajouté une fonctionnalité d’aide contextuelle, des tutoriels en libre accès, et un canal de chat interne pour poser des questions.
A partir de là, tout a changé : l’adhésion, l’engagement, la satisfaction terrain des utilisateurs.
Pourquoi ? Parce qu’on avait écouté activement, au bon moment.
Comment ancrer l’écoute active dans notre quotidien de BA
Je suis sûre que vous aussi, vous avez déjà vécu ce type de scénario.
On croit avoir tout entendu, recueilli les besoins principaux… mais sans la bonne écoute, on passe souvent à côté de l’essentiel.
Et cet essentiel n’est souvent pas dans la fiche de fonction, ni dans les process.
Il est dans le vécu, le ressenti, le non-dit.
Voilà pourquoi l’écoute active, ce n’est pas une compétence relationnelle secondaire.
C’est un outil d’analyse aussi puissant qu’un diagramme de processus bien ficelé.
Elle fait toute la différence entre :
- une demande “recopiée” et un besoin réellement éclairci,
- une solution subie et une solution adoptée,
- une relation transactionnelle et une collaboration de confiance.
Écouter pour mieux analyser : notre super-pouvoir
Ce que cette conférence TEDx nous a révélé, au fond, ce n’est pas un modèle parfait à copier.
C’est un miroir. Un rappel puissant qu’écouter, vraiment, c’est bien plus qu’une posture passive.
C’est une compétence d’analyse, une force de connexion et évidemment, un levier stratégique pour celles et ceux d’entre nous qui passent tant de temps à décoder des besoins et aider à la prise de décision.
Dans notre métier de Business Analyst, chaque entretien, chaque atelier, chaque point informel est une opportunité d’ouvrir un espace d’expression.
Et dans ce monde de visios sans caméra, de temps contraints, de contributeurs débordés… notre manière d’écouter peut faire toute la différence.
Quand nous choisissons de ralentir, de reformuler, de valider ce que nous avons perçu, même au-delà des mots…
Quand nous intégrons un silence, une question qui invite à l’introspection, une vraie attention aux signaux faibles…
Nous ne faisons pas “juste” notre travail.
Nous créons de la clarté, nous rassurons, nous débloquons des voies apparemment sans issues.
Et si cette façon d’écouter devenait notre marque de fabrique ?
Notre signature collective, en tant que communauté de BAs ?
Pas l’écoute qui coche des cases (sinon, une IA ferait l’affaire), mais celle qui ouvre des possibles.
Alors voici ce que je vous propose.
Dès votre prochain échange — entretien individuel, revue d’atelier ou simple conversation informelle —, faites cette expérience :
Prenez une respiration.
Ralentissez.
Et écoutez comme si tout dépendait de ce moment-là.
Parce que parfois… tout en dépend vraiment 🙂








