Être Business Analyst au Canada : le témoignage de Cokou

Cokou nous livre ici un précieux témoignage – peut-être, je l’espère, un avant-goût de ce que nous vivrons bientôt à notre tour en France.

Cokou exerce en tant que Business Analyst pour un important organisme de crédit à l’exportation du Canada, pays « berceau » de l’International Institute of Business Analysis (IIBA®). C’est en effet à Toronto, qu’a été formalisé en 2003 pour la première fois le métier de Business Analyst.

Dès lors, comment s’étonner que les bonnes pratiques, les certifications, et l’organisation au sein et autour de la communauté des Business Analysts  aient pris 10 ans d’avance au Canada (et par extension, en Amérique du Nord) sur nos propres pratiques, à nous autres Business Analysts du Vieux Continent? 

Cokou Adjafefa

Cokou ADJAFEFA

Senior Business Analyst chez EDC - Ottawa, Ontario, Canada.

Quand Cokou m’a contactée pour m’aider à diffuser et à partager les bonnes pratiques de l’analyse métier dans les pays francophones, j’ai bien entendu été ravie de sa proposition:  quelle formidable aubaine pour nous permettre de découvrir comment se structure la communauté de Business Analysts canadiens, en avance d’une décennie sur nous autres, BA du Vieux Continent !

Voici déjà ce que me disait Cokou, au cours de l’un de nos premiers échanges :

« Ici au Canada, tout s’anime autour de la plateforme de l’IIBA® et chaque agglomération a son site. Mais chaque compagnie utilisant des BAs a sa propre politique d’animation de groupe. A EDC, par exemple, nous avons des ateliers de travail une fois par semaine et des rencontres mensuelles pour accueillir les nouveaux venus et partager nos expériences. Ce sont des rencontres très intéressantes et très productives. Quant à la certification, bien qu’elle soit recommandée, les compagnies sont moins regardantes pour les grosses pointures avec une solide expérience en gestion de projets. Elle est à recommander aux plus jeunes. »

Je ne sais pas quelle est votre réaction en lisant cela, mais la mienne a été enthousiaste : « Waouh, et si on avait cela chez nous ?! Quel progrès ce serait pour nos entreprises – clients « finaux », ESN et cabinets de conseil – et bien entendu pour la communauté des Business Analysts eux-mêmes !».

Je crois fermement que l’on peut y arriver, car nous avons de la chance : nous pouvons utiliser le retour d’expérience des pays anglo-saxons (et du Canada, en particulier) pour économiser des années de tâtonnement et ainsi combler notre retard en peu de temps.

Voici le témoignage de Cokou – à méditer… :

Alice (bestofbusinessnanalyst.fr) : Bonjour Cokou, et tout d’abord, un grand merci pour ton implication ! Ton témoignage va, j’en suis sûre, inspirer ou conforter bien des initiatives dans les entreprises francophones. Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?

Cokou : Bonjour Alice. Merci pour l’opportunité que tu offres par ton blog de pouvoir échanger entre Business Analysts. C’est une excellente initiative qui demande un travail exceptionnel et nous t’en remercions.

Mon parcours est un peu atypique. Titulaire d’une Maîtrise en Économie d’Entreprise, je me passionnais pour les outils informatiques que nous utilisions dans notre quotidien de gestionnaires mais je restais un peu sur ma faim. C’est alors que j’ai entendu parler des universités qui formaient à l’informatique de gestion. Je me suis donc naturellement intéressé à celle de Paris Dauphine, d’où je suis sorti avec un MIAGE en poche deux années plus tard. C’est une double compétence qui constitue un peu pour moi les deux facettes d’une même pièce, comme le sont la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage en informatique. J’ai donc commencé comme Chef de Projet junior avant de basculer trois ans plus tard dans la vie de Consultant Indépendant. Dans la première partie de ma vie professionnelle, j’ai été maître d’œuvre en occupant tous les postes, depuis celui d’Analyste à celui de Directeur de projet, en fonction de mes missions respectives. La deuxième partie fut consacrée au métier. Suivant les missions, j’étais tantôt côté maîtrise d’ouvrage, tantôt maîtrise d’oeuvre, et dans certains cas coordinateur. C’est depuis une dizaine d’années que j’ai pris conscience du vide qu’il y avait entre la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage. Je découvrais en Amérique du Nord qu’il y avait un métier très pointu qui faisait la jonction entre ces deux mondes : le Business Analyst. En effet, c’est une personne qui maîtrise assez bien le fonctionnel d’un métier pour en définir les évolutions ou inventer de nouvelles procédures. Le Business Analyst peut communiquer aisément avec le maître d’œuvre en utilisant des outils de modélisation. C’est cet aspect du métier qui me fascine le plus. La constance dans mon parcours, c’est mon expertise fonctionnelle des banques et des assurances, secteurs dans lesquels j’ai passé presque trente ans maintenant.

Alice : Actuellement, tu travailles en tant que BA dans un organisme de crédit à l’exportation au Canada. Est-ce que tu peux nous expliquer ton périmètre d’activité?

Cokou :  Mon client actuel est une entreprise de crédit qui garantit les paiements aux entreprises exportatrices. Elle utilise pour la gestion de ses polices une plateforme construite par une société française spécialisée dans le service aux assureurs. Le basculement de l’ancien système au nouveau s’est échelonné sur trois phases. Pour ma part, j’ai rejoint la société pour la deuxième phase. Ma mission consiste à renforcer l’équipe métier pour la conversion et la migration des contrats mixtes (Export et Domestique) vers la nouvelle plateforme. Dans le même temps, il y a eu quelques évolutions fonctionnelles déjà répertoriées qu’il a fallu lotir et engager afin d’améliorer l’expérience quotidienne du client sur le front office.

Alice : Quelles sont les activités principales que tu réalises, et dans quel cadre méthodologique ?

Cokou : La méthodologie utilisée est agile

>> Lire aussi7 choses que les Business Analysts doivent savoir sur l’agilité

Mes principales activités sont les suivantes : l’analyse de besoins fonctionnels, l’animation des brainstormings des différentes équipes parties prenantes d’un sujet fonctionnel ou d’un processus, l’élaboration de propositions et l’organisation des débats pour l’amélioration de la qualité, le suivi de la maîtrise d’œuvre, la vérification des plans de test et de leur conformité avec les spécifications fonctionnelles et enfin, la rédaction des documents de formation sur les nouveaux processus. 

Alice : Venons-en maintenant à ce que tu évoquais lors de nos échanges concernant la communauté de Business Analysts au Canada. Tu me disais que tout s’organise autour de l’IIBA – rien d’étonnant, puisque l’IIBA a été fondée à Toronto en 2003. Est-ce qu’il existe d’autres schémas de certification présents et organisés (IREB, IQBBA par exemple) ou est-ce que tout est vraiment structuré autour de l’IIBA ?

Cokou : L’IIBA® est la plateforme la plus connue ici. Mais les autres plateformes ne sont pas mises de côté. Il convient au Business Analyst de choisir une plateforme en fonction de ce qu’il/elle recherche. Bien qu’il y ait cependant quelques subtilités dans les certifications octroyées par chaque institut, il est à retenir que tous les certificats sont reconnus par les entreprises. Les six certifications les plus utilisées ici par les BA sont:

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Alice : D’une manière générale, est-ce que tu pourrais nous dire comment cela se passe quand un professionnel, qui n’est pas encore Business Analyst, veut se reconvertir ? Comment s’y prend-il ? Est-il accompagné, par l’IIBA® par exemple, est-ce qu’il existe des formations continues à l’université qui dispensent des cours sur la Business Analyse ?

Cokou : Pour un profil informatique qui voudrait passer BA, je dirai qu’il faut d’abord cibler le métier visé et bien maîtriser son contexte fonctionnel, puis s’inscrire dans un groupe de professionnels afin de bénéficier de la synergie de groupe. Pour les MOA et MOE qui ont une expérience professionnelle consistante, la course à la certification peut attendre. Mais il est toujours souhaitable de pouvoir ajouter cette étiquette pour mettre en confiance les entreprises, du moins pour vos premiers pas en tant que Business Analyst. Par la suite, elles sont plus focalisées sur les expériences acquises en tant que BA. Il est néanmoins préférable d’être membre d’un chapitre de l’IIBA.

Ici au Canada, les membres reçoivent la « bible » qu’est le BABOK ® – Business Analysis Body of Knowledge – dans lequel on peut trouver une foule d’informations sur la pratique du métier de BA et se préparer à la certification.

>> Voir aussi mes recommandations de lecture: Se former et Se certifier

Il existe de nombreux groupes d’études qui sont de petites classes d’apprentissage et d’échanges. L’Université de Carleton, par exemple, dispose d’une filière de BA qui délivre le MCBA – Masters Certificate in Business Analysis – qui peut se faire en option accélérée.

Alice : Tu me disais également que les entreprises peuvent s’adresser à une plateforme IIBA® locale. Est-ce que cela leur permet de recruter des Business Analysts à l’écoute d’opportunités, de collecter des bonnes pratiques pour leurs propres besoins, de faire suivre des formations à leurs BAs ? Peux-tu nous en dire plus ?

Cokou : Les entreprises sont en communication avec l’antenne locale de IIBA®. Maintenant, la collaboration se fait de façon très naturelle car certains animateurs de ces antennes locales sont aussi des Business Analysts en poste dans ces mêmes entreprises. La dissémination de nouvelles techniques et pratiques se fait donc sans problème. La circulation de l’information se fait dans les deux sens. Les sociétés de services informatiques demeurent cependant les principaux pourvoyeurs de profils BA aux entreprises.

Alice : J’ai également été agréablement surprise par la manière dont ton entreprise gère les intégrations de nouveaux-venus, et par le processus d’amélioration continue mis en place pour favoriser les retours d’expérience entre Business Analysts. Concrètement, comment cela se passe-t-il ? Par exemple, prenons le point de vue d’un BA junior tout juste embauché. Comment va-t-il être pris en charge pour sa montée en compétence ?

Cokou : La nouvelle recrue est introduite à tout le groupe par email. Beaucoup répondent pour lui souhaiter la bienvenue. Dès le premier jour, le nouveau venu se sent donc membre d’une communauté. On lui transmet un livret d’accueil qui contient les liens de la base documentaire de l’entreprise concernant le métier de BA. Il dispose alors d’un accès à tous les format-guides et modèles officiels de documents. L’équipe dans laquelle le nouveau BA va travailler s’occupe alors de son intégration. Il reçoit alors le livret d’accueil interne de l’équipe. Ce document est une présentation qui lui fournit le véritable contexte de son intervention, sa première mission, ainsi que la liste des différents intervenants sur les sujets et les cas en cours de traitements. Pour résumer, le nouveau venu est encadré au niveau supérieur par la communauté des BA de l’entreprise et au niveau interne par son équipe. La montée en compétence est donc très rapide.

Alice : Cokou, tu ne peux pas savoir comme ton témoignage est précieux, et encore une fois, je t’en remercie… J’espère que cela donnera des idées à nos entreprises, aux chapitres IIBA® de France, Suisse, de Belgique (et au-delà), et bien entendu à tous les Business Analysts des pays francophones pour utiliser à bon escient ce retour d’expérience. A nous de jouer, maintenant 😊.

Cokou : J’ajoute que ce qui serait intéressant de faire en France, ce serait de pouvoir pousser un peu plus loin l’intégration afin que la plateforme d’animation du métier puisse être aussi une référence pour aller dénicher les opportunités, réunir les animateurs de la profession et les entreprises utilisatrices sur une seule et même plateforme. A l’arrivée, on y gagnerait tous… !

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Alice Svadchii
Alice Svadchii
Auteure du blog et Business Analyst enthousiaste
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Alice Svadchii

Alice Svadchii

Formatrice, coach, conférencière et productrice de contenus enthousiaste !

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